Après trois longues semaines de service militaire, un participant s'interroge au sujet du sentiment d'y avoir perdu son temps. Il nous raconte la difficulté qu'il éprouve à "gaspiller" dix-neuf jours de sa vie à ne rien faire de productif, qui plus est, contre son gré. Et ce, chaque année. Mais en même temps, il questionne la logique commerciale de notre besoin constant de productivité. Cette notion (supposément occidentale) de rentabiliser son temps. C'est alors qu'une participante partage une expérience diamétralement opposée à celle de notre militaire : infirmière de profession, elle avoue qu'elle trouve souvent le plus de plaisir dans ses moments de solitude, immobile dans le silence d'une longue nuit de garde et l'ennui le plus profond. Ce dernier lui offre, nous dit-elle, un temps de repos. L'espace nécessaire pour retrouver sa personne, enfouie dans le désordre de son mental sans cesse en mouvement. Comment se fait-il que, pour notre militaire, immobilité soit synonyme de frustration, tandis que pour notre infirmière, celle-ci rime avec paix intérieure ? Ceci s’expliquerait par leur attitude respective face à leur condition : alors que l’un, contraint de force, tente d’échapper le moment, l’autre s’immerge consciemment dans la profondeur de l’instant. « Reste qu’elle ne fait rien d’utile », pourrait-on rétorquer. Étant donné que son temps est limité, elle pourrait regretter de ne pas l’avoir utilisé à bon escient lorsqu’il lui en restera peu. Mais il ne s’agit pas d’utilité, et encore moins de productivité, remarque un troisième intervenant. En fait, la recette du « bon temps » compterait deux ingrédients :
d’une part, la conscience que notre temps est limité
d’autre part, le sentiment d’exercer une activité féconde.
Ainsi, l’ennui, l’immobilité, ou une sieste ne sont pas une perte du temps. Bien qu’ils n’aient a priori aucune utilité, ils contribuent à nous faire croître : à condition qu’on leur donne l’opportunité, l’ennui fait place à notre créativité, l’immobilité nous permet de revenir sur nos expériences, et la sieste nous apporte le repos nécessaire à nous sentir bien. Peut-être qu’au lieu de partir à la recherche du temps perdu en fuyant les moments qui nous paraissent inutiles, une meilleure stratégie consisterait plutôt à s’immerger complètement dans ceux-ci, et ainsi transformer l’expérience que nous en faisons.
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